En édition comme en écriture, découper un roman en plusieurs tomes est souvent un sacré casse-tête.
En édition, c'est plutôt simple : il n'y a qu'une seule règle à suivre.
Mais en tant qu'auteur, surtout si on ne l'a jamais fait, 1) on ne connaît pas forcément cette règle, et 2) souvent, on manque de recul sur notre histoire pour savoir où la découper. Et où il ne faut pas !
Mais (vous en avez de la chance) je suis autrice et éditrice... Et au début, je n'en menais pas large.
Mon premier roman, Le Sang des pirates, était censé paraître en 1 seul et unique tome. Je l'ai écrit sans songer au découpage car pour moi, il était évident que ce n'était qu'un seul et même récit qui n'avait pas vocation à être scindé.
Maaais quand j'ai entamé la phase de correction, puis les réécritures successives, et que la publication se profilait, j'ai déchanté...
Le roman était trop gros, c'était évident.
Et malgré mes efforts, je ne pouvais trancher dans le texte pour le réduire sans le dénaturer complètement.
L'histoire des pirates, la vraie, ne pouvait pas être racontée en deux fois moins de signes.
Pour vous donner un exemple concret, le roman total faisait 1 million de signes et 200 000 mots (arrondi). Dans un ordre d'idée, en édition, on considère qu'un texte est un roman à partir de 50 000 mots. J'avais donc l'équivalent de deux gros pavés, censés ne constituer qu'un seul et même roman.
Une discussion avec mon imprimeur m'a vite fait comprendre que c'était impossible de le publier d'un seul tenant : le roman au format broché (couverture souple) n'aurait pas bien tenu dans le temps, le texte aurait été ridiculement petit, les pages très fines... Or, il est hors de question de sacrifier la qualité de l'objet et le confort de lecture pour des questions pratiques... Mais j'étais bien embêtée. Pour tout vous dire, j'étais même démoralisée.
Nom de Zeus c'est affreux, le roman se vendra moins bien. Ce sera bizarre, les lecteurs vont le sentir. Et puis ça fait deux fois plus de boulot !
Mais il fallait bien que le roman soit publié dans les délais.
Or, une tomaison (non, ça n'est pas un fromage) ce n'est pas un découpage artificiel, mais un vrai choix d'identité du récit.
Le fait que le roman soit trop long n'est pas un critère suffisant : il y a un risque, comme je le craignais justement, que ce découpage arbitraire bousille le récit, le rythme, l'unité du roman.
Alors, où couper ? La seule règle, c'est celle de l'identité. L'identité d'un tome peut se définir d'après plusieurs critères. En édition, on en voit généralement 4 :
1) une tomaison de personnages, où chaque tome est une étape de la transformation du protagoniste ;
2) une tomaison d'intrigue, avec un arc narratif terminé à la fin de chaque tome (et un nouveau commencé dans le suivant) ;
3) une tomaison d'univers, où chaque tome prend place dans un décor différent (ce qu'on appelle en dramaturgie l'arène du récit)
4) plus rarement, une tomaison de style, dans laquelle chaque tome a une ambiance différente, un ton précis.
Dans l'idéal, il faudrait que ces 4 points basculent au même moment d'un récit.
Dans le cas du Sang des pirates, il y a clairement deux ambiances dans le récit. Le décor change aussi drastiquement, on ne se promène plus dans les mêmes environnements.
Vous avez sûrement remarqué que, dans mon choix, je suis partie du récit. Je ne me suis pas dit "où est-ce que je peux couper pour faire moins gros" mais "où est-ce que l'histoire me permet de diviser ?".
De même, si vous ne savez pas où couper, fiez-vous à votre texte. Il y a forcément un point de bascule à un moment, et ça n'est pas grave si un des tomes est plus gros que l'autre (même si pour des raisons purement commerciales selon moi, il est préférable que votre tome 2 soit plus gros que le tome 1 plutôt que l'inverse).
J'ai aussi fait en sorte que cette identité propre à chaque tome se retrouve dans la couverture du roman : le tome 1 est la plongée d'Anne dans un monde nouveau pour elle, cette femme au regard bleu qui rêve de partir sur l'un de ces navires... et le tome 2 reflète l'ambiance bien plus sombre et torturée qui règne dans le récit.