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Que faut-il écrire pour être publié ?

Emma Bzeznik

Newsletter du 15 septembre 2023


Ces dernières années, globalement depuis 2019 et plus spécifiquement ces derniers mois, j’ai remarqué plusieurs tendances, un peu comme une mode, dans les genres littéraires plébiscités par les maisons d’édition.


Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais quand un genre (ou un trope, ou même un style) plaît aux lectrices et lecteurs, le marché éditorial s’en retrouve très vite saturé. En l’espace de quelques semaines ou mois, on se retrouve avec une quantité quasi exubérante de romans mythologiques ou de romances fantasy ennemies-to-lovers… traduits de l’américain, pour la plupart.

Justement, ça va de paire avec le fait qu’on nous propose énormément de traductions anglo-saxonnes, principalement pour surfer sur le succès commercial de certains ouvrages… Au détriment des plumes francophones, comme nous en parlions lundi.

Ce qui mène, je trouve, à une uniformisation du style d'écriture, de ce qu'on lit souvent. Beaucoup de ces traductions sont moyennes et rendent le style des romans plat, sans saveur, voire purement informatif, quand ce n’est pas l’écriture de l’autrice elle-même qui est bourrée de clichés (et bien souvent, ça n'est pas de sa faute, mais des deadlines qu'on lui impose).

Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai beau apprécier un ouvrage, en voir des quantités de similaires (mais vraiment similaires, hein, pas juste le genre en commun) inonder les étagères des librairies et des réseaux sociaux, ça me lasse.

C’est un peu comme si vous étiez au restaurant, et que vous appréciez bien ce dessert, et qu’une armée de serveurs trop insistants vous en tendent des similaires en vous disant : « tenez, mais tenez, reprenez-en donc ! ». C’est l’overdose.


Comme je baigne dans le bain des médias littéraires pour mon travail d’autrice et d’éditrice, le phénomène me saute aux yeux dès que je me connecte sur les réseaux. Je pense qu’il est dû, au moins en partie, à la surmédiatisation de certains types d’ouvrages qui circulent sur toutes les plateformes de lecture, sur tous les réseaux sociaux, et dont tout le monde parle, donnant l’impression que tout le monde les lit. Par exemple, pour n’en citer qu’un, je suis sûre que vous avez entendu parler d’ACOTAR, A court of Thorns and Roses de Sarah J. Maas (publié en français sous le nom : Un Palais d’épines et de roses).


Sur le principe, c’est super : ça veut dire que ces romans vont faire leur chemin auprès du public et que la lecture se popularise par le biais des réseaux sociaux !

Mais ça montre aussi les tendances du marché.

Parce que, oui, c’est bien du marché de l’édition dont il est question, qui est une industrie aussi bien que celle de la musique ou du cinéma.

Et en tant qu’apprentie autrice, ou même en tant qu’autrice publiée, on peut s’inquiéter de cet aspect du monde éditorial qui en devient presque routinier. Tel roman a eu un gros succès ? Attendez-vous à en trouver des similaires dans les semaines/mois qui viennent.


Bien-sûr, chaque livre est différent et ont été écrits à des moments différents. Ça n’est pas la faute des autrices et des auteurs si des romans qui se ressemblent sautent tous sur le marché au même moment. C’est une question purement marketing, un effet de mode.

En tant que lectrice, j’aimerais m’en réjouir, parce que ça veut dire que je peux trouver des lectures similaires à un ouvrage que j’ai adoré. Mais pas tant que ça. D’autant plus que cet effet de mode concerne surtout la romance et la fantasy young-adult, des genres que je peine de plus en plus à lire et apprécier de par cette uniformisation.

Toujours les mêmes tropes, qui sont même devenus des arguments de vente. Sauf que, d'un point de vue tout-à-fait personnel, le ennemies-to-lovers, en plus de spoiler complètement l’intrigue, moi, ça me sort par les trous de nez.


Je trouve ce phénomène dommage pour tous ces romans et pour la qualité des rayons. Certaines maisons bâclent le travail sur le texte, accélèrent les traductions, dépêchent des campagnes marketing toujours plus imposantes, juste pour surfer sur la vague. Souvent au détriment de la qualité du roman, qui aurait mérité mieux et qui s’avère pour beaucoup de lectrices, au final, décevant.

Je précise qu'ici, je parle uniquement d'un constat que je fais personnellement depuis plusieurs mois.


Et ça pose une question pour les nouveaux auteurices : que faut-il écrire pour être publié ?


Pour plaire aux maisons d’édition, est-ce qu’il faut maintenant correspondre à des tropes précis ? est-ce qu’il faut de la romance ? privilégier la première personne du singulier ?


En bref, est-ce qu’il faut écrire le prochain ACOTAR pour être publiable ?


Non.


Mais, si ces tropes, cette manière d’écrire, ces genres vous plaisent au point d’en écrire une histoire… Mais vraiment, au point de passer plusieurs mois sur ce roman pour en faire quelque chose à votre façon… Alors, pourquoi pas.


J'ai eu plusieurs questions de lectrices qui me disaient hésiter à se lancer dans la fantasy, pas parce qu'elles le veulent à la base, mais parce que ça leur semble le seul moyen d'attirer l'attention d'éditeurs.

La leçon à retenir de ces tendances n’est pas « j’abandonne mon projet de space-opera pour écrire de la romantasy ».

Écrivez ce qui vous fait plaisir. Vraiment. Parce qu’il y aura toujours quelqu’un pour aimer ce que vous faites, parce que vous l’aurez fait d’une manière unique – la vôtre.

En plus, techniquement, c’est à l’éditeur qui sélectionnera votre texte de trouver le lectorat qui correspond à votre roman.

En revanche, ça montre aussi combien les envies du lectorat d’une maison d’édition sont importantes et décisives dans leur choix de manuscrit. Un éditeur, c’est une entreprise qui ne va pas investir de l’argent dans un livre s’il n’est pas certain qu’il trouve son lectorat – de préférence, en masse. Hélas, c’est une sorte de boucle : plus c’est publié, plus c’est écrit.


Est-ce que les romantasy ennemies-to-lovers avec prince ou princesse héritière de grands pouvoirs foisonnent parce que le lectorat en demande ? Ou est-ce que les gens en lisent parce qu’elles composent la majorité des nouveautés sur les étagères ?

Gardons ceci en tête : être publiable, c’est avant tout écrire un roman que l’on prenne plaisir à travailler (parce qu’il n’y a rien de pire qu’un roman sans souffle, je vous assure que ça se sent à la lecture) mais qui corresponde aussi aux besoins de l’éditeur pour lequel vous l’écrivez (critères du genre principal dans lequel il s’inscrit, volonté de l’auteur, angle précis…) et, c’est mieux, aux envies du lectorat-cible de cet éditeur.

Cela dit, ne vous embarrassez pas trop du lectorat : comme je l’ai dit plus haut, c’est le travail de l’éditeur. En revanche, écrire un roman qui vous plaît est essentiel.


À lundi dans la Scribouille,

Emma

📷 La photo du jour : un peu de douceur pour finir la semaine avec le doux (et bien nommé) Pirate.


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