DRAMATURGIE

Conflit interne ou conflit externe ?

En dramaturgie, on a pour habitude de distinguer les obstacles internes (un trait de caractère propre au personnage) et les obstacles externes (une situation dont la cause est extérieure au personnage).

Or l’objectif du personnage, lui, est selon moi toujours interne puisqu’il touche à l’émotion de celui-ci (de fait, je ne vois pas comment il pourrait être externe). Dès lors, à mon sens, un conflit est rarement externe.

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En revanche, le conflit peut être statique ou dynamique. Je pense que ce que la personne a voulu demander, c'est : comment développer un conflit statique, soit les émotions intériorisées d'un personnage face à quelque chose qu'il ne peut contrôler.

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Le conflit, c’est le cœur de l’histoire, l’action générée par l’opposition entre l’objectif de votre personnage et les obstacles qui le bloquent.

Si vous n’êtes pas à l’aise avec le terme, je parle plus en détail de la notion de conflit dans cet article : LA base de toutes les histoires.

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Cela dit, si vous tenez à cette dénomination, illustrons tout ça par un exemple :

Dans Hunger Games de Suzanne Collins, Katniss veut sauver sa sœur d’un destin cruel (objectif principal) et doit survivre (objectif secondaire qui devient principal) dans l’arène où elle devra affronter tous les autres tributs (obstacle externe) tout en protégeant celui qu’elle aime. Puis, lorsqu’elle se voit contrainte de choisir entre mourir ou tuer son compagnon pour qu’il n’y ait qu’un seul vainqueur et finir les Jeux, l’obstacle se fait complètement interne. On peut alors voir comme un ‘conflit externe’ le conflit entre sa survie et l’arène, qui sont alors purement physiques et contextuels, même si j'aurais tendance à le qualifier de conflit dynamique.

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Ce qui me déplaît avec cette appellation de conflit interne ou externe, c'est qu'elle sous-entend que l'un est intériorisé et propre aux émotions, alors que l'autre propose un dilemme uniquement physique. Or, ça n'est jamais le cas. Corps et esprit sont liés, et une blessure à la jambe en pleine jungle qui rend un personnage inapte à marcher peut autant faire naître un conflit dynamique que statique.

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Dans le cas d'un conflit dynamique, le personnage tenterait par tous les moyens de secourir sa jambe blessée, coûte que coûte, pour se remettre à avancer dans l'urgence, au mépris de ses propres pensées.

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Dans le cas d'un conflit statique, le personnage attendrait les secours dans un cadre hostile en réfléchissant et en enrageant de ne rien faire, d'avoir échoué, bousillant ainsi le peu d'estime de soi qu'il lui restait.

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Développer le conflit

Mon exemple avec Katniss illustre déjà l’idée : au début du roman, elle doit choisir entre laisser partir sa petite sœur au-devant d’une mort plus que certaine, ou bien se sacrifier et prendre sa place dans l’arène. Tout le principe du conflit est là : le choix.

On peut voir une histoire comme une série de choix, à différents niveaux (à commencer par les vôtres, ceux de l’autrice) et aussi de non-choix. Pour le conflit, le point d’orgue de votre récit, donc, il va en être de même. Pour le développer, on va constituer une série de choix qui va augmenter en enjeux, en intensité. Les choix se feront de plus en plus durs pour le personnage, car lourds de conséquences. Voici un exemple illustré juste en-dessous :

Cas pratique

Anne veut vivre en femme libre, indépendamment de l’emprise de son père (objectif). Sauf que dans la société où elle vit et à son époque, une femme doit être liée à un homme par le mariage (obstacle externe) et n’a pas de liberté individuelle. Sa mère a complètement accepté cette idée et ne lui est d’aucun soutien.

Elle vit donc ce conflit : faire ce qu’elle veut ou se conformer aux normes sociales.

Pour vivre indépendamment de l’emprise de son père (objectif principal), qui est un homme riche et respecté de toute la ville (obstacle externe), Anne salit volontairement sa réputation en fréquentant de mauvais établissements, en buvant avec des marins de tous bords et en provoquant des duels à l’épée. Pour pouvoir s’infiltrer dans les tavernes et se battre en duel, elle se déguise en homme. Quand arrive la fois de trop, ses parents décident de la marier pour de bon au fils d’un riche propriétaire de plantations.

Le conflit devient : vivre en femme attachée en rendant ses parents fiers ou vivre en homme, libre mais seule, et en s’attirant leurs foudres.

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Déjà à ce stade, le conflit devient plus complexe pour Anne : elle ne peut pas vivre en femme libre comme elle le souhaiterait et doit donc accéder à l’indépendance en se travestissant. On arrive donc sur un conflit d’identité.

Mais elle veut se débarrasser de sa réputation salie (objectif secondaire) lorsqu’elle rencontre un homme qui lui plaît et dont elle tombe amoureuse. Or, le marin est bien moins riche que le lord qu’elle doit épouser (obstacle externe). Dans l’espoir de contenter ses parents, elle se marie secrètement avec lui pour leur montrer qu’elle est maîtresse de ses choix tout en adhérant à la norme de la société.

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L’objectif d’Anne s’est affiné en fonction de son évolution. Elle estime pouvoir être indépendante en étant mariée auprès d’un homme qu’elle a choisi, alors qu’auparavant elle refusait toute idée de mariage. Le conflit devient : un compromis pour se conformer aux normes en se mariant avec l’homme qu’elle aime ou se conformer de façon à rendre ses parents fiers en se mariant avec un homme qu’elle déteste.

À chaque fois, Anne fait les choix qui la rapprochent le plus de son objectif (mais qui paradoxalement, en terme d’intrigue, peuvent l’en éloigner). Ici, elle tente un compromis ultime où les enjeux sont grands pour elle… Et on se demande à chaque fois un peu plus comment elle va atteindre son objectif (et même si elle va l’atteindre un jour). Car un nouvel événement perturbateur vient défaire ses plans… et relancer le récit.

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Pour continuer sur notre exemple :

La mère d’Anne, déjà gravement malade, décède. Son père accuse Anne d’en être la cause (obstacle interne) et pour raffermir son autorité, il la déshérite si elle refuse de se marier avec le lord (obstacle externe).

Anne est face au mur, elle doit choisir entre : se plier à la volonté de son père pour regagner sa confiance (et son héritage) ou se débrouiller sans parents et sans moyens.

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Mais c’est aussi ce en réalité choix-là qui s’effectue en arrière plan : se conformer à la société ou se détourner de la société en jetant la honte sur sa famille.

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Et pour Anne, ça signifie surtout : vivre malheureuse avec un homme qu’elle déteste ou vivre heureuse avec l’homme qu’elle aime.

Je m’arrête là car à ce stade, on voit déjà venir les questions qu’en tant que lectrice ou lecteur, on peut se poser à ce stade et qu’on peut ramener à : quels choix va faire Anne ?

Multiplier les mensonges en menant une double-vie pour retrouver son homme lors de ses rares moments de liberté avec son mari lord ;

Se déguiser pour de bon et vivre le reste de sa vie en tant qu’homme ;

Tout quitter pour partir avec le marin qu’elle aime en dépit des risques ;

Partir seule sur les mers en quête d’un avenir meilleur, sans rien attendre de personne ;

Essayer de trouver un métier où elle pourrait s’épanouir en tant que femme, et ainsi trouver plus d’indépendance ;

À votre avis, quel choix va faire Anne ? Je ne vous le révèle pas, car son histoire existe vraiment… C'est celle du Sang des pirates.

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En résumé

Pour développer le conflit de vos personnages, le mieux est de partir d’un objectif simple (et qui soit clair pour votre personnage comme pour vous) et d’augmenter progressivement les enjeux au fil de l’histoire.

Les enjeux, ce sont les risques et leurs conséquences.

Qu’est-ce que votre personnage peut perdre ou gagner en prenant telle décision ? Qu’est-ce qui va se passer pour lui et pour les autres s’il fait tel choix ?

Ponctuez les moments de possible résolution avec un événement soudain qui va réinjecter de la tension (et de l’attention) dans le récit. Quand Anne peut peut-être enfin trouver un accord avec son père, un élément de la vie fait basculer la balance, ce qui mènera celui-ci à prendre une décision plus radicale. Les personnages évoluent et leurs objectifs, leurs attitudes et leurs réactions avec. Il faut les pousser dans leurs retranchements.

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